Réflexions sur la sécurité européenne

La France est en guerre, l’Europe l’est-elle aussi? La réponse ne saute pas aux yeux si l’on considère les commentaires acerbes et les reproches véhéments qui courent de plus en plus dans l’opinion de nos compatriotes, amplifiés par des médias qui, incapables de toute réflexion un tant soit peu approfondie, crient haro sur le baudet et par des partis politiques qui espèrent cacher ainsi l’aveuglement coupable dont ils font preuve depuis plusieurs décennies.

La correction la plus élémentaire, avant de jeter l’opprobre sur « Bruxelles », ce qui du reste ne signifie rien puisque Bruxelles en son stade actuel n’est autre que l’addition cacophonique de Paris, Berlin, Londres, Amsterdam, Rome, Varsovie et autres Vilnius ou Talin, voudrait que chacun- et nous les premiers - fasse son examen de conscience. Il est aussi dérisoire de « condamner l’Europe » pour ce qu’elle n’a pas été capable de prévenir que de s’imaginer qu’ à son stade actuel de développement elle aurait pu tout faire pour empêcher les évènements dramatiques récents.

La construction Européenne est une entreprise difficile, progressive et nécessairement longue et pavée d’illusions et de désillusions. Sa faute originelle et originale est d’abord son ambition : bâtir par accord mutuel et non par la guerre, pour la 1ère fois dans l’histoire des hommes, un espace politique commun au sein duquel des Etats souverains, surmontant plusieurs siècles de conflits dévastateurs, acceptent de partager leur souveraineté pour la plus grande prospérité économique de chacun, pour le rayonnement de leur mode de fonctionnement démocratique et d’une vision généreuse des droits de l’homme.

Cette Europe a été mal conçue, entend-on souvent dire : « Y avait qu’à » faire une Europe restreinte, une Europe fiscale, une Europe sociale, une Europe aux frontières bien contrôlées et défendue par une armée européenne intégrée, au lieu de construire ce « machin » technocratique, bureaucratique, sans autre ambition politique que celle d’un marché commun sans cesse plus large et d’une porosité extrême à toutes les menaces extérieures.

Certes « y avait qu’à »…, mais « faut qu’on » arrête de voir le monde tel qu’il n’est pas. Il serait d’une grande naïveté de croire que les entreprises humaines peuvent être parfaites et qu’il suffit de les penser avec intelligence pour quelles se réalisent ainsi.

C’est un fait, le processus n’a pas été rationnel. Nul ne peut le contester. Par parenthèse, on ne saurait reprocher à la France de n’avoir pas mis en garde à ce sujet et sa position dans le grand débat « élargissement –approfondissement » des années 80-90 en témoigne. Mais l’histoire ne se décrète pas, la raison n’en est pas la règle intangible, le poids des intérêts et des influences extérieures est souvent déterminant, mais le cœur y a parfois sa part et les récentes déclarations d’Angela Merkel sur l’accueil de 800 000 immigrés illustrent bien que la générosité, empreinte de naïveté, le dispute parfois à la froide rationalité.

Alors, cette Europe passoire, cette Europe inopérante, cette Europe cause de tous nos maux aux yeux d’un parti rassembleur des mécontentements tous azimuts, cette Europe si largement rejetée ces jours-ci par tant de nos concitoyens, faut-il s’en séparer, faut-il divorcer de nos partenaires alors que le mariage, celui d’une Europe solidaire, responsable et efficiente, n’est même  pas encore consommé ?

Ma réponse est très clairement non… ! la France seule, pas plus que l’Allemagne pourtant géant économique ou que la Grande-Bretagne théoriquement mieux protégée par son insularité, ne saurait être à la mesure des multiples défis du XXI ème siècle, qu’il s’agisse de défense, d’économie, d’industrie, d’écologie ou même de philosophie et de culture. 65 millions de français dont le génie et les innombrables talents sont unanimement reconnus de par le monde, tout autant du reste que leur inégalable prétention à donner des leçons à l’univers …, ce n’est en fait que moins de 1% de la population mondiale. Il ne faut pas se tromper d’époque et s’imaginer que l’hexagone gaulois peut sur ses propres et seules ressources vivre prospère et en paix à l’abri d’une ligne Maginot, même plus adaptée que celle des années 30, au sein d’un monde aux gigantesques défis et aux multiples menaces.

En fait, face aux incontestables failles du système actuel dans la détection, le contrôle et la neutralisation des individus porteurs et acteurs de la folie djihadiste, le rétablissement des frontières nationales et d’une juridiction propre serait- il plus efficace ? Rien ne le laisse penser, tant la menace est globale et tant les Etats sont interdépendants. La sécurité de chacun est tributaire de celle des autres et l’on voit mal comment une étanchéité totale des frontières pourrait être établie. Ce n’est pas faire offense à nos services de renseignement et de sécurité dont le professionnalisme et les capacités sont unanimement reconnus que de dire que sans une étroite coopération avec les services étrangers, et notamment européens, ils perdraient un large part de leur efficacité.

C’est incontestablement au niveau de l’Union Européenne qu’il faut agir et loin de revenir à une vision nationale du problème, ce qu’il faut c’est assumer efficacement le contrôle des frontières de l’Union. Il y a lieu tout d’abord de mettre d’urgence en place le système PNR de contrôle des passagers du transport aérien, prôné par la Commission Européenne, système dont le principe semble maintenant acquis après un blocage de plusieurs années par des députés européens plus soucieux du maintien des libertés des voyageurs que de leur protection. Nos compatriotes, comme du reste dans la plupart des pays de l’Union, boudent les élections Européennes et doivent prendre conscience de leur responsabilité civique vis-à-vis du Parlement Européen lorsqu’ils veulent bien participer au scrutin... Leur désinvolture à cet endroit est inexcusable.

De même, plutôt que d’abandonner la libre circulation des personnes et des biens ouverte par les accords de Shengen, il est absolument nécessaire de transférer pleinement à l’Agence Frontex la responsabilité du contrôle des entrées et des sorties de l’Union actuellement dédiée aux Etats membres situés aux limites de l’Union. Il va sans dire que cela suppose d’en décupler les moyens financiers afin qu’elle puisse disposer d’un corps de « garde-frontières européens » et d’une flotte de « garde-côtes européens ». Il s’agit là d’une dépense d’un niveau particulièrement élevé qui ne pourra se faire qu’en élevant le niveau du budget de l’Union Européenne. Mais la sécurité de l’Union est à ce prix. Si les Etats membres n’acceptent pas les implications financières au niveau « fédéral » de la sécurité commune, l’Europe restera « passoire » et la guerre contre l’Etat Islamique sera perdue au moins sur le front du territoire Européen.

Il ne faudrait pas pour autant se reposer sur un système efficace de contrôle des frontières de l’Union, il est évidemment impératif de s’attaquer à la source même des menaces et la coalition internationale qui semble se mettre sur pied devra également – voire plus encore car il en va du risque assumé pour la vie des combattants engagés - concrétiser la solidarité des Etats membres telle qu’elle est inscrite dans les articles 42-7 et 222 des traités qui régissent l’Union Européenne. Il faut bien reconnaître que, jusqu’à présent, l’expression de cette solidarité se fait attendre quand on mesure les réticences des partenaires européens de la France à s’engager militairement à ses côtés contre la menace islamiste tant au Moyen-Orient qu’en Afrique Sahélienne.

 

Et pourtant le temps est réellement venu de décliner comme suit la devise de l’Union :

« Unis dans la diversité, Unis dans l’adversité… »

 

Général(2s) Jacques Favin Lévêque
Membre du Bureau d’EuroDéfense-France

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