Quelques réflexions sur l'Europe

 

D’ici quelques jours, les Français, les Allemands, les Espagnols, bien d’autres encore sur notre continent - et même les Anglais à cause d’un Brexit qui n’en finit plus de finir - auront élu 751 députés pour les représenter au Parlement Européen pendant 5 ans. Les faits diront si la participation électorale a été à la hauteur des enjeux en dépit des pronostics plutôt pessimistes. Car, le plus souvent nos compatriotes, mais également nos partenaires européens - bien que dans une moindre mesure -, boudent régulièrement ce scrutin.

Pourquoi un tel désintérêt - et pour certains un tel désamour- pour cette Europe qui est le creuset de notre histoire commune plus que millénaire et le gage de notre avenir dans un monde où la Chine, les Etats-Unis, la Russie renaissante, l’Inde hyperpeuplée ou le continent Africain en marche vers les 2 milliards d’habitants montrent à l’évidence que notre civilisation, nos modes de vie, nos valeurs  et notre conception de la démocratie ne sont plus au centre du monde et sont même menacées par le maëlstrom de la mondialité. Ceux, qui, parmi vous, ont  pratiqué les relations internationales mesurent peut-être encore plus que d’autres l’importance de ces enjeux dès lors qu’ils ont été confrontés aux dures réalités de la mondialisation.

Or, face aux défis d’un avenir difficile et incertain, l’Europe s’interroge, hésite et est la proie d’une multitude de crises  qui s’enchevêtrent et dont les effets s’additionnent: crise identitaire et existentielle, crise démographique, crise économique, crise de la démocratie politique, crise sociale et sociétale, crise éthique et religieuse, crise migratoire, en fait crise profonde d’une civilisation qui a oublié ce qu’elle a été, qui s’interroge sur ce qu’elle est aujourd’hui et sur ce qu’elle veut pour son avenir.

Interrogeons du reste nos compatriotes, demandons leur pourquoi tant de scepticisme de leur part à ce sujet et puisque cette Europe est mal aimée, quelle est celle qu’ils appellent de leurs vœux ? Les réponses seront simples, disons même simplistes, qui s’apparentent plus à des slogans de campagne qu’à des définitions précises et à des contenus réalistes clairement définis : il faut, nous dit-on, une Europe sociale, une Europe fiscale, une Europe égalitaire et redistributive, une Europe qui protège, une Europe sans contraintes normatives, une Europe des services publics, une Europe sans travailleurs détachés, mais avec Auchan en Hongrie et avions Rafale en Pologne…En fait, une Europe à la Française, celle d’une France qui transpose son rêve national au niveau Européen… !

Le problème, c’est que l’Europe ne peut se construire qu’en prenant en compte les spécificités et les attentes de chacun de ses 27 partenaires. L’Union Européenne ne peut être que la résultante de compromis dans lesquels chacune des parties prenantes accepte d’œuvrer pour l’intérêt commun qui n’est pas la somme des intérêts particuliers.

Alors pour réussir cette union, dont nul, sauf la Grande-Bretagne, ne saurait raisonnablement nier la nécessité pour surmonter les défis de la mondialisation, les 27 Etats Membres de l’Union Européenne se sont dotés d’institutions, certes perfectibles, parfois décevantes, mais plus efficaces que leurs détracteurs ne le prétendent. Sans en faire un fastidieux inventaire, rappelons simplement que le Conseil Européen réunit les 27 Chefs d’Etats pour définir les grandes orientations au plan politique, diplomatique, militaire, économique, industriel ou autres. La Commission Européenne traduit ces orientations en projets de Directives qui sont soumis au double vote du Parlement Européen et du Conseil des Ministres, émanation du Conseil Européen. Le Parlement est co-décideur de la législation européenne et son rôle est donc tout aussi décisif que celui des Etats dans l’adoption des Directives qui régissent la vie de tous les jours, en France comme partout ailleurs en Europe.

Tout cela peut paraître compliqué et cela l’est effectivement. Mais qui oserait penser qu’il est simple et facile de concilier les objectifs nationaux de 27 Etats souverains ? Or en dépit de cette complexité et contrairement aux idées fausses et préconçues, cela fonctionne et le bilan de cette Europe si souvent décriée est très largement positif.

Bien sûr, il faut remédier aux lacunes et aux défauts souvent et justement dénoncés : l’excès de technocratie et de bureaucratie, l’abus de normes envahissantes et tatillonnes, les lenteurs et les hésitations dans les décisions communes, une réglementation de la concurrence qui doit être repensée et surtout une certaine naïveté face à la concurrence mondiale… !

Mais les critiques les plus significatives portent sur l’incapacité trop fréquente des 27 chefs d’Etat au sein du Conseil Européen à s’accorder et à trouver les compromis acceptables par chacun dans l’intérêt général. Porteurs des intérêts nationaux, il leur est souvent difficile pour des questions de politique intérieure de consacrer à la cause commune. Cela se comprend, mais la logique de l’adhésion à l’Union a ses contraintes et la solidarité est une condition incontournable de la construction de l’édifice Européen. Soulignons du reste la remarquable solidarité des  27  dans la négociation du Brexit, derrière un Michel Barnier unanimement soutenu dans son difficile dialogue avec une Grande –Bretagne qui, tout en voulant quitter l’Union, a tenté avec son habileté légendaire d’en conserver les avantages…

En fait ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous divise… Avec un peu de réflexion, voire de bon sens, à l’évidence l’Union  entre les Etats  souverains de notre continent est nécessaire pour faire face aux défis de la mondialisation. Aucun des Etats membres, y compris les plus puissants,  France, Allemagne ou autre, ne peut désormais les surmonter tout seul. Qu’il s’agisse d’économie face à l’exacerbation de la concurrence mondiale, qu’il s’agisse de défense et de sécurité face aux menaces multiples et diverses, qu’il s’agisse de l’inquiétante évolution climatique ou de l’ampleur des migrations de populations, qu’il s’agisse également d’énergie, d’industrie, d’élevage, de pêche ou d’agriculture, sans oublier les défis culturels de civilisation, il est indispensable d’unir nos efforts et donc de dépasser nos différences  pour mener des actions en commun. Il nous faut donc une Europe forte, une vraie Europe digne de son passé et confiante en son avenir.

C’est pourquoi il est navrant de constater ces temps-ci à quel point les arguments de campagne avancés et les critères retenus  par les uns ou les autres sont éloignés des véritables enjeux de l’élection. Ce n’est pas une élection nationale et les considérations de politique intérieure sont hors-sujet. L’important n’est pas de savoir si la liste du Rassemblement National surclassera celle de LREM, ce n’est pas de rejouer le duel Macron-Le Pen par Loiseau et Bardella interposés…, ! L’objectif est d’élire des députés capables de prendre à bras le corps la complexité de la problématique européenne, d’en saisir les vrais enjeux, notamment en matière de civilisation, et de voter des Directives permettant de servir les intérêts de l’Union Européenne et de ses citoyens dans la compétition mondiale du 21ème siècle.

Le rendez-vous n’est donc pas au 26 mai au soir, avec le défilé franco-français des « gagnants et des perdants »… et avec les commentaires dérisoires qui l’accompagneront, mais aux premiers débats du Parlement nouvellement élu et aux prochaines décisions d’une gouvernance de l’Union Européenne totalement renouvelée puisque le Président du Conseil Européen, le Président de la Commission Européenne et l’équipe des 27 Commissaires, le Président du Parlement Européen, la Haute représentante aux affaires étrangères et le Président de la Banque Centrale Européenne seront remplacés à l’issue de ce scrutin et très largement en fonction des résultats de celui-ci….

Jacques Favin Lévêque
le 13 Mai, 2019
Version PDF
Version DOC